Françoise Romand

Réalisatrice France

Cette évidence fragile fait du cinéma de Françoise Romand un objet précieux et réjouissant car il offre la vie comme elle vient, il éprouve la chair, parfois jusque dans les entrailles
(comme dans Ma vie de merde).

Cela commence sur une facétie, le grand-père ciotaden de Françoise Romand interprète le garnement dans L’Arroseur arrosé des frères Lumière. Dès lors, Françoise, devenue réalisatrice après un passage par l’IDHEC, n’aura de cesse de rappeler que « tout ça c’est du cinéma », au travers d’une mise en scène de la mise en scène, une mise en tension du je par le jeu. Ce jeu avec l’identité, cette exploration libre et publicitarisée par le geste de filmeuse sont transverses à tous ses films.

Surtout connue pour ses films documentaires, Françoise Romand établit un double rapport entre recherche d’identité (elle promène une caméra qui permet d’être soi-même comme un.e autre) et déploiement d’un dispositif de filmage qui organise le jeu, la mise en jeu de la mise en scène et témoigne de la relation qu’elle coconstruit avec ses personnages.

Tout est fait pour décentrer le regard et éviter les stéréotypes. Il ne s’agit jamais de figer les personnages dans un rôle préconçu ou une posture enfermante mais d’ouvrir et de restituer la complexité des personnalités, des désirs et des trajectoires. En plus des dispositifs qu’elle instaure, le montage de Françoise Romand permet aux personnages de déjouer leurs propres rôles. Tout le monde y joue la comédie, car Françoise produit « du vivant ranimé dans le mécanique ».

Appelez-moi Madame débute par un souhait d’Ovida Delect qui nous explique « Alors voilà ce que j’ai imaginé pour le film que vous allez voir », une silhouette (Ovida ?), « pourrait apparaître à la limite du sable et du flux », en robe blanche et sur les vers de poèmes qu’elle a écrits.

Le plan suivant réalise la séquence désirée par Ovida car ses rêves sont « conscients » et Françoise les matérialise. Mais au plan suivant, le documentaire reprend la main et le film déroule son infinité de points de vue. C’est ainsi que le cinéma de Françoise Romand n’est jamais enfermant, c’est une poétique de la liberté parce qu’elle laisse l’espace filmé vacant pour la rêverie, pour la projection du je par ses personnages, mais c’est aussi l’espace laissé aux spectateurices pour voyager dans ces interrelations ouvertes.

Ouverture encore par l’inextricabilité des tissus sociaux et des points de vue qui composent ses films. Tout se mélange, Mix-up ou Méli Mélo, son premier film documentaire raconte l’histoire de deux anglaises dont les bébés ont été échangés par erreur à la maternité. Quelques années plus tard, en plus d’un clin d’œil à Ovida dont un des poèmes est diffusé dans le transistor, son long métrage de fiction Vice vertu et vice versa narre la rencontre de deux voisines dont les plaques sont échangées. Elles se rencontrent, se perdent l’une en l’autre et soignent leur apparition au monde au sens d’Hannah Arendt : elles « n’existent pas simplement comme d’autres objets vivants ou inanimés, mais font explicitement leur apparition. »

Les personnages de Françoise Romand soupirent et s’amusent enfin : « Nous sommes des êtres regardés dans le spectacle du monde ». Cette évidence fragile fait du cinéma de Françoise Romand un objet précieux et réjouissant car il offre la vie comme elle vient, il éprouve la chair, parfois jusque dans les entrailles (comme dans Ma vie de merde). C’est aussi un espace public par excellence, « où la liberté peut devenir une réalité tangible ».

Camille Zehenne, artiste chercheure, programmatrice au sein du collectif Les Froufrous de Lilith

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