Édito

Les Journées Cinématographiques se devaient, pour leur nouvelle édition, de poursuivre leur démarche défricheuse  et ouverte à toutes les cinématographies. Alors que les écarts s’accroissent entre blockbusters triomphants et films d’auteurs dans la tourmente, médias dominants et information indépendante, nous nous sommes demandé : où se trouve aujourd’hui la liberté de création, où chercher des récits qui nous offrent de nouveaux points de vue ? Les films existent et se trouvent de plus en plus facilement, mais pour nous aiguiller
dans notre recherche, rien de tel que de s’appuyer sur des alliés, des relais, des regards éclairés avec lesquels nous pouvons échanger. Car par-delà la découverte des œuvres, c’est bien le partage et la discussion qui sont au cœur des Journées Cinématographiques.

Ces «regards satellites» qui nous désaxent de notre orbite, pour le meilleur, nous les avons trouvés auprès de cinéastes indépendants, dont les films nous propulsent très loin des récits classiques : Kirill Serebrennikov, Laura Poitras, Chantal Akerman, Saul Williams, Marcelo Gomez… Si certains s’attèlent à dynamiter les grands récits, d’autres – tout autant francs-tireurs – opèrent un travail discret depuis la marge. En s’emparant du cinéma, et par l’acuité de leur regard, ils l’amènent jusqu’à des zones auparavant inexplorées : ces films s’approchent du cinéma classique pour mieux s’engouffrer dans ses failles béantes et le réinventer de l’intérieur. C’est le cas des œuvres de Patrick Wang, des mélodrames autoproduits qui ne cessent de questionner les forces et faiblesses du vivre-ensemble étatsunien. Mais aussi du cinéma d’Alain Cavalier : cet explorateur de l’intime, passé par toutes les formes esthétiques, allie la tranquillité à l’humour dans une démarche toute personnelle et fait émerger les récits les plus bouleversants.

Mais nous avons aussi souhaité rendre hommage à des artistes aux univers marquants : Elina Löwensohn, comédienne et désormais réalisatrice, dont les traits cosmiques traversent le cinéma français et international depuis bientôt trente ans, et l’auteur de bande dessinée brésilien Marcello Quintanilha, qui nous offrira à travers ses cartes blanches un panorama d’œuvres rares du cinéma brésilien. Chacun sera présent pour partager avec nous son univers, et nous inviter à suivre des chemins de traverse.

Quelques spécialistes des « satellites» nous accompagnent aussi pour ce programme. Manuel Attali et Fabrice Leroy, fondateurs de la société de distribution ED Distribution, auxquels nous rendons hommage pour la passion et l’énergie qu’ils consacrent à révéler des cinéastes inconnus et géniaux (Guy Maddin, Andrew Kötting, Phil Mulloy, ou encore Mani Kaul).

Plus récemment, c’est autour d’une idée d’Alice Diop que s’est fédérée la Cinémathèque Idéale des banlieues du monde, un lieu utopique d’observation et de recherche sur les satellites qui nous font sortir des centre villes, et nous offrent d’autres paysages physiques et symboliques. Les Journées Cinématographiques se joignent à ce beau projet, en invitant

le programmateur brésilien Heitor Augusto, pour deux séances hautes en couleurs.

Si le Brésil est ainsi à l’honneur, nous irons aussi nous balader dans une ville méconnue et pourtant riche en cinématographies «désaxées», Winnipeg au Canada.

Avec son climat rude et son architecture brutaliste pour ne pas dire brutale, et derrière la figure star de Guy Maddin, c’est tout une galaxie de cinéastes particulièrement libres et hors normes que nous souhaitons faire découvrir, en présence de l’un d’entre eux, Ryan McKenna.

Enfin, cette édition sera aussi celle des grandes retrouvailles avec un réalisateur qui nous avait rendu visite il y a 26 ans : Ken Loach. À 86 ans, il reste le plus grand cinéaste européen à avoir défendu avec constance et pugnacité un cinéma porté par un discours humaniste, social et un regard sans concession sur les dérives du capitalisme. Il viendra nous présenter son documentaire rarement vu Which Side Are You On ? (1985) et l’inoubliable The Navigators (2001), deux films qui semblent n’avoir jamais cessé d’être d’une actualité brûlante.

Cinéastes, artistes, spectateurs.trices, distributeurs.trices, programmateurs.trices, journalistes, c’est à un fabuleux voyage ensemble et hors des sentiers battus que ces Journées Cinématographiques vous convient.

LAURENCE REYMOND, LAURENT CALLONNEC & VINCENT POLI