Un après-midi avec Marie-Claude Treilhou

Rencontre

D’un restaurant chinois à un cinéma porno, les films de Marie-Claude Treilhou détournent les récits banalisés du cinéma français pour les ouvrir aux détours et aux fantasmes. Un instant, des personnages bigarrés se dépouillent de leur anonymat et sont consacrés en héros du grand écran. Retour en trois longs-métrages sur l’œuvre de Marie-Claude Treilhou.  

Marie-Claude Treilhou, fugues populaires

Marie-Claude Treilhou entre dans le cinéma après un parcours hasardeux et révolté : une enfance populaire à Toulouse, des études de philo en 68, divers métiers (caissière, ouvreuse, enquêtrice, critique…) et surtout des rencontres, une foule de « gens qui n’étaient jamais dans les cases ». C’est le cinéaste Gérard Frot-Coutaz qui, à la fin des années 70, l’intègre au sein de la maison Diagonale fondée par Paul Vecchiali, qui y produit ses films et ceux d’une famille d’individus singuliers (Frot-Coutaz, Jean-Claude Biette, Jacques Davila, Jean-Claude Guiguet). Héritière d’une tradition théâtre du cinéma (Guitry, Renoir ou Pagnol) caractérisée par le goût des acteurs et du verbe haut, cette véritable petite major minoritaire entendait renouer avec un cinéma populaire exigeant, ni militant, ni sociologique, attentif à ceux que l’on croise tous les jours sans les voir : ces petites gens (étudiants, employés ou retraités) qui n’ont jamais eu de grand rôle à jouer, de monde à sauver ou de classe à représenter.

Le premier film de Treilhou, Simone Barbès ou la vertu (1980) partage une nuit de son héroïne, dans trois lieux clos qui sont autant de petits théâtres : un hall de cinéma porno où elle officie comme ouvreuse, une boite lesbienne où se mêlent faunes bourgeoises et interlopes, et la voiture d’un homme qui l’a draguée sur les boulevards. Sous de grands yeux en néons ou les éclats sourds de la ville endormie qui défile, Simone, reine de la nuit caustique et ombrageuse, échange avec toute une constellation de personnages dont les vies minuscules brillent d’une singulière vitalité.

Ici comme ailleurs, qu’il s’agisse de contes (L’Âne qui a bu la lune, 1986), de poésie (Comme si, comme ça, 2019, avec Michel Deguy) ou de création musicale, toujours collective (En cours de musique, 2000 ; Les Métamorphoses du chœur, 2004 ; Couleurs d’orchestre, 2007), la cinéaste déploie la belle réserve de fiction que recèle un court récit raconté, un calembour, un ton de voix, un tic ou une démarche.

À rebours d’un cinéma « bigger than life », Treilhou se confie à l’intimité des corps et des paroles de ses personnages, qu’ils soient interprétés (le plus souvent) par des acteurs non professionnels (comme Ingrid Bourgoin/Simone Barbès, filmée dans le cinéma où elle travaillait), ou bien par de grands acteurs du vieux cinéma (Danielle Darrieux, Micheline Presle, Paulette Dubost, Robert Lamoureux, Michel Galabru) dans Le Jour des rois (1991), véritable film d’aventure du troisième âge, au temps alourdi et aux gestes maladroits, où un voyage au restaurant chinois foisonne d’événements minuscules, conflictuels et révélateurs.

Dans Un petit cas de conscience (2000), un cénacle d’amies s’étant embourgeoisées se dispute après un cambriolage dérisoire. Les rengaines et les nostalgies de chacune débouchent sur une aporie politique qui interroge en creux ce qu’il reste du populaire et de la marginalité, avec une insondable mélancolie. Si le cinéma de Treilhou charme par sa fantaisie toute théâtrale et frappe par son réalisme, son émotion tient aussi à cette partition subtile où un chœur de personnages laisse s’épanouir chaque fugue individuelle.

Pierre Eugène, maître de conférences à l’université de Picardie Jules Verne et membre du comité de rédaction des Cahiers du cinéma.

Durée : 01:33 et 01:38

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