Rencontre avec Patrick Wang

Rétrospective

Le réalisateur américain Patrick Wang est depuis dix ans l’auteur d’une œuvre à la fois pudique et virtuose. Ses quatre longs-métrages, des mélodrames autoproduits qui donnent une large place aux acteurs, jouent avec les règles de la narration et révèlent la complexité du tissu social des villes étatsuniennes. Rétrospective en présence du réalisateur.

Une maison de poupées

Dans le premier film de Patrick Wang, In the Family, il y a une longue et belle séquence de « conciliation judiciaire » dans laquelle Joey (joué par le réalisateur lui-même) essaye de récupérer la garde de son fils. Pour convaincre sa petite audience, mais surtout pour tenter de se réconcilier avec les membres de sa belle-famille, il convoque des souvenirs d’enfance et parmi eux, celui d’après-midis à ne faire « rien de spécial » avec sa mère adoptive. Il insiste sur le fait que ce soit dans ces interstices de temps, du temps pour rien, que s’est logé un sentiment de plénitude et de bonheur. Voilà un indice pour entrer dans l’œuvre de cet Américain d’origine taïwanaise, élevé au Texas, qui a commencé le cinéma sur le tard, après avoir étudié l’économie au MIT et avoir fait ses armes dans différentes troupes de théâtre, comme acteur et metteur en scène. En effet, ce que travaille Patrick Wang de film en film, et qui a rendu son style si immédiatement affirmé et singulier, est cette forme de vacances au cœur de nos vies.

Ainsi, In the Family creuse une double absence, d’abord celle de Cody, le compagnon de Joey, puis celle de leur enfant, Chip, dont on cherche à priver Joey. Ayant comme cadre privilégié la maison familiale, construite par le héros, le film s’attache à révéler, comme on pèle un fruit, les strates de temps qui l’habitent et ressurgissent à la faveur d’un raccord ou à l’arrivée d’un morceau de musique. Lieu vidé de sa vie initiale par une série de drames, le foyer est le siège d’une réappropriation de la mémoire : il ne s’agit pas tant de comprendre l’enchaînement des événements grâce aux flash-backs que d’enrichir la profondeur du présent, qui se trouve hanté et repeuplé. Les Secrets des autres, son deuxième film, dont le titre original The Grief of Others, est plus précis (grief signifiant chagrin et évoquant le processus de deuil), creuse le même sillon, tant narratif que formel, en s’autorisant encore davantage d’inventions stylistiques. « Nous apprenons à connaître les gens dans le désordre », estime Patrick Wang. Cette phrase pourrait être une clef de la construction du film, adapté d’un roman de l’autrice contemporaine Leah Hager Cohen, où l’on entre dans une famille sans indice, observant la vie quotidienne, ajustant notre œil aux dérèglements qui la rongent. Et puis les non-dits remontent à la surface, cette surface que Wang cadre avec un œil toujours perspicace et dédouble parfois – il orchestre ici des superpositions d’image dont la dernière figure comme un point d’orgue d’émotion – pour sonder ce qui se trame dans les silences.

Tourné en quinze jours, en 16mm, Les Secrets des autres est un chef-d’œuvre miniature, à l’image des dioramas que fabriquait le père d’un des personnages avant de mourir : les grandes émotions de la vie avec les autres sont condensées à l’échelle de ce qui se passe dans une cuisine, entre le fromage et le dessert. Avec A Bread Factory, Patrick Wang quitte la famille nucléaire pour la tribu artistique (une association théâtrale se bat contre la gentrification de son quartier) et son talent de direction d’acteur – dans une saga en deux volets qui comporte énormément de personnages – s’épanouit d’autant plus. Il est frappant de voir le rôle important joué par un enfant ou un adolescent (parfois les deux) dans chacun des films de Patrick Wang. Dans A Bread Factory, Part 1, le maître des lieux est Simon, un enfant d’une dizaine d’années qui travaille comme projectionniste. Présence discrète et observatrice, fantomatique et bienveillante, il résume ce que pourrait être la place, et donc le point de vue, de Patrick Wang sur le monde : un peu à côté des choses, en retrait, pour les voir depuis un angle où le minuscule prend une place extraordinaire.

Laura Tuillier, réalisatrice et critique à Libération

Durée : Entre le 3 et 11 février

Rencontre animée par Laura Tuillier

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