L’étrange cinéma de Winnipeg
Rencontre
Quand soudain… Winnipeg !
Tel l’arbre qui cache la forêt, Guy Maddin est le cinéaste issu de Winnipeg à avoir acquis une renommée internationale dans les années 90. Mais dans son ombre, et grâce au Winnipeg Film Group, association de réalisateurs très active, de jeunes pousses ont vu le jour, et développé des univers cinématographiques tout aussi fantaisistes et personnels. Et il doit y avoir quelque chose de spécial à Winnipeg, capitale du Manitoba, Canada, ville isolée et sujette aux grands froids, pour que ses cinéastes s’aventurent aussi loin des normes contemporaines, pour explorer – voire exploser – le matériau cinématographique. Noam Gonick, Mike Maryniuk, Deco Dawson, Matthew Rankin, Ryan McKenna… Si leur goût pour l’expérimentation peut les rapprocher de Maddin, chacun s’aventure film après film sur sa propre voie.
Noam Gonick est sans doute le premier à s’être fait connaître, avec Hey, Happy ! fantaisie queer ultra colorée et débridée, qui pourrait évoquer le cinéma de Gregg Araki, s’il s’était délocalisé dans le désert urbanistique Winnipegois. Même lorsqu’il s’aventure sur les terres de Maddin, à savoir un faux film muet soviétique (1919), Gonick ne peut s’empêcher de croiser l’événement historique (un grève générale à Winnipeg) et l’orgie frénétique. Tout aussi survolté, Mike Maryniuk invente avec The Goose un climax du film psychédélique, mélangeant images animées, papier découpé en stop motion, images d’ordinateur, de jeux vidéo et film bricolé, pour accompagner son personnage principal qui tente de fuir sa vie et sa ville de Winnipeg. Un monument de bizarrerie qui pourrait évoquer un Harmony Korine en plein trip de LSD.
Matthew Rankin est le plus prolixe des réalisateurs de la “nouvelle vague winnipegoise ». Enchaînant depuis 15 ans les courts et longs métrages, explorant les possibilités du médium (film travaillé chimiquement photogramme par photogramme, films tournés en décors surréalistes, films publicitaires détournés…), il porte une attention particulière à l’Histoire et plus particulièrement à celle de Winnipeg, dont ses films ne cessent de chanter les sombres échecs et les plus grandes catastrophes, comme dans Death by Popcorn: The Tragedy of the Winnipeg Jets (qui conte les échecs de l’équipe locale de hockey – dont le résumé est : Sadness on ice), Mynarski Chute Mortelle (sur la mort, un brin ridicule, d’un héros de guerre), The Twentieth Century (où la vie et les moeurs… particulières d’un politicien canadien), ou encore … Negativipeg.
Winnipeg, ville aux bâtiments tristes et brutalistes, ne cesse d’inspirer ses artistes, qui se voient contraints par l’humour du désespoir à la filmer. C’est avec peut-être plus de douceur, mais pas moins d’ironie, que Ryan McKenna dessine dans ses films un portrait de la ville et de ses habitants. Dans son premier long métrage, The First Winter, un jeune homme portugais se voit contraint d’affronter l’hiver de Winnipeg pour retrouver une femme. Contraste et rigueur, le film joue du silence et l’immobilité générale pour scruter la possibilité, fragile, d’une relation. Puis dans Controversies et Cranks, il utilise les témoignages des auditeurs d’une émission de radio locale, pour faire des plans-portraits, sorte de catalogue mélancolique ouvrant sur l’inconscient winnipegois. Un point commun entre tous ces cinéastes : une relation d’amour/haine tenace avec leur ville, qui comme une mère castratrice (et brutale) occupe beaucoup de place dans leurs imaginaires.
Laurence Reymond
Durée : Du 3 au 11 février