Rencontre avec Fronza Woods

Carte blanche

Femmes invisibles 

En 1979, Fronza Woods réalise son premier court-métrage, Killing Time. En parallèle de Julie Dash (Illusions, 1982) ou Kathleen Collins (Losing Ground, 1982), Fronza Woods est alors l’une des toutes premières femmes cinéastes afro-américaines. Sans véritable soutien institutionnel, ces films témoignent d’un travail exceptionnel, mais sont aussi réalisés sans espoir de distribution. Après Fannie’s Film en 1981, Fronza Woods ne réalisera plus de films et ses deux courts-métrages tombent dans l’oubli. En 2017, la BAM Cinématek à New-York organise une rétrospective intitulée «One Way or Another:  Black Women’s Cinema 1970–1991». A cette occasion sont montrés les deux films de Fronza Woods, à la grande surprise de la réalisatrice qui vit en France depuis le milieu des années 80. Richard Broky, critique au «New Yorker», voit alors en Killing Time une réponse américaine, «et encore plus riche», au Saute ma ville (1968) de Chantal Ackerman, dans lequel une jeune femme pourvoit aux tâches ménagères habituelles avant de faire sauter son appartement – et elle avec.

Le sous-titre de Fannie’s Film, «Invisible Women : Part 1» révèle d’emblée l’objectif cinématographique de Fronza Woods : donner une place aux oubliées du cinéma. D’abord en filmant deux femmes noires d’âges opposés (elle-même, sous pseudonyme, puis Fannie Drayton, une femme de ménage de 65 ans), mais, de façon plus large, en mettant en scène des êtres complexes qui échappent aux clichés de l’industrie cinématographique. Ainsi, les standards jazz murmurés et l’ironie de Killing Time ne dissimulent jamais totalement le désespoir d’une héroïne au bord du suicide. Le film s’intéresse à ces instants où la force manque pour même se sortir du lit, des «temps morts» qui révèlent pourtant toute la psyché d’un être malmené par la grande ville et dont la vie serait «une histoire drôle sans sa chute». Dans le documentaire Fannie’s Film, Fronza Woods capte l’activité des corps dans une salle de sport. Une fois les sportifs disparus, c’est Fannie qui vient ramasser les serviettes et nettoyer les bancs. Dans un univers où chaque mur est un miroir, elle raconte l’histoire de sa vie : son enfance, ses précédents emplois, la maladie, et cette indépendance financière dont elle est si fière. En déclarant que même si le choix lui était donné, elle ne changerait rien à sa vie, Fannie Drayton déjoue toute figure de victime dans laquelle on voudrait l’enfermer. Le film choisi par Fronza Woods, Betty Tells Her Story (Liane Brendon, 1972) touche à l’invisible en racontant deux fois la même histoire, celle d’une magnifique robe achetée sur un coup de folie et perdue le soir-même. La fragilité de tout schéma narratif est soulignée, en même temps que le double récit se confronte aux désirs d’émancipation – que l’on cherche à fuir sa classe sociale ou même son propre corps – et révèle les ambiguïtés de nos identités, nourries de rêves et regrets.

Vincent Poli

Rencontre animée par Claire Lasolle

 

Vendredi 10 février 20:30
KILLING TIME DE FRONZA WOODS ÉTATS-UNIS/1979/9’
FANNIE’S FILM DE FRONZA WOODS ÉTATS-UNIS/1981/15’
BETTY TELLS HER STORY DE LIANE BRANDON ÉTATS-UNIS/1972/20’

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Séances

Cinéma L'Ecran| vendredi 10 février 2023 - 20H30 | VOSTF

Séance suivie d’une rencontre avec Fronza Woods et Marie-Claude Treilhou, animée par Claire Lasolle, co-fondatrice du Vidéodrome 2 et membre du comité de sélection du FIDMarseille

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