Rencontre avec Alain Cavalier
Carte blanche
Auteur d’une vingtaine de longs métrages depuis le début des années 60, Alain Cavalier a toujours tenu à réinventer son cinéma, au gré des époques, des sujets et des moyens techniques mis à sa disposition. Lorsqu’au milieu des années 90 il se tourne vers la vidéo, ce n’est pas tant pour des raisons économiques que pour graver ses questions au sein des espaces quotidiens, interroger le passage du temps et enquêter là où la légèreté cohabite avec le grave. Pour les 23es Journées cinématographiques, Alain Cavalier a tenu à montrer deux films « frères», La Rencontre (1996) et Le Filmeur (2005), mais dans la continuité: au même format, sans le générique de fin et les années qui les séparaient. Le passage de l’un à l’autre devient imperceptible et LA RENCONTRE ET LE FILMEUR devient un film d’amour vertigineux.
Un cinéaste rencontre une femme. Par petites touches, il filme avec sa caméra vidéo des moments de leur vie, des objets, des lieux. Alain Cavalier compose une mosaïque sublimée par le désir, où le spectateur est invité à trouver sa place par lui-même.
«Ça fonctionne comme le trucage de Hitchcock pour Vertigo, travelling avant et zoom arrière en même temps. Double mouvement vertigineux d’un film qui s’approche au plus près de l’intimité pour, dans cet élan même, et le risque qu’il comporte, pouvoir embrasser l’espace et le temps – le monde, comme on dit – dans sa plus grande amplitude. Voilà longtemps qu’Alain Cavalier affiche et déclare une grande défiance envers le cinéma comme activité industrielle, et prouve sa confiance dans le cinéma comme pratique singulière. Combien de temps? Plus de 25 ans, très exactement depuis Ce répondeur ne prend pas de message (1979), qui ouvrait une piste menant (on ignore si c’est une étape ou la fin de ce voyage-là) au Filmeur. Entre les deux, La Rencontre (1995) marque une borne décisive, du renfermement sur soi-même, loin du monde (et du monde du cinéma) du Répondeur au retour au monde avec le cinéma du Filmeur, via la trouvaille d’un personne par laquelle se fractureraient les murs noirs et opaques érigés il y a un quart de siècle. Caméra vidéo à la main, revoici donc Alain Cavalier, reprenant le chemin où il l’avait laissé il y a dix ans. Avec Françoise, celle qu’il rencontrait alors, et ce déploiement de petites choses de tous les jours auquel le sentiment amoureux lui redonne accès, petits cailloux et autres miettes menant à nouveau sur le chemin de la réalité. Détails du corps, grain de la voix, bouts de trucs du quotidien fétichisés par les jeux amoureux et par le cadrage, comme autant de talismans d’un instant. […] Il s’agit d’inventer la possibilité de tourner la caméra vers soi-même, et ainsi de regarder le monde et l’époque et l’histoire, dans ce geste-là. De se filmer sans narcissisme, si le narcissisme c’est se regarder à la place du monde, comme écran au monde. Alors que le cinéma de Cavalier, c’est se regarder comme écran du monde, là où il se projette. Un sacré boulot ! […] Sur ce chemin difficile, Alain Cavalier, marcheur opiniâtre aux courages sans exhibition, ne s’arrêtera pas. Il n’ira où personne, au cinéma, ne va. »
Jean-Michel Frodon, Cahiers du Cinéma n°604, septembre 2005
Rencontre animée par Claire-Emmanuelle Blot